BALADE DE LA FOLLE ALLEGRESSE  (México 1921)

Mon verre plein – le vin de l’Anahuac-
mon effort vain – stérile ma passion-
je suis un perdu – je suis un marihuano-
à boire à danser au son de ma chanson…

Ceignez le torse odorant, jouez la joviale cymbale.
Une bacchante folle et un satire scandaleux
soudent dans mon sang leur frénésie amoureuse.
Athénes brille, pense et sculpte Praxiteles,
et la grâce enchaine de roses la passion.
Ah de la vie rigoureuse, qui ne nous donne pas son miel
sinon avec mesure et en certaine proportion!
Dansez au souffle de Dionysos qu’enivre le cœur…

Le Meurtre vient, tout sera poussière
sous son empire: poussière de Pérycles,
poussière de Codro, poussière de Cimon!

Mon verre plein – le vin de l’Anahuac-
mon effort vain – stérile ma passion-
je suis un perdu – je suis un marihuano-
à boire à danser au son de ma chanson…

D’ Hispanie fructueuse, de Galie délectable, de Numide brulante,
et de toute la rose des vents que boivent les aigles Romains,
venez, pures damoiselles et avides courtisanes.
Dansez en délicieux, et lubriques épisodes,
avec les esclaves nubiens, avec les marins rodios.
Flaminio de cheveux d’amarante,
cherche pourHeliogábalo dans les termes hommes de plaisir…
Relevez le chant, riez, chantez en bachique joie,
et faites germer le sang qui enivre le cœur.

La Meurtre vient, tout sera poussière:
poussière d’Auguste, poussière de Lucrecio, poussière d’Ovidio, poussière de Neron!

Mon verre plein – le vin de l’Anahuac-
mon effort vain – stérile ma passion-
je suis un perdu – je suis un marihuano-
à boire à danser au son de ma chanson…

Villageoises du Cauca avec l’odeur de lys;
montagnardes d’Antioquia, avec le douceur d’une ruche;
infantes de Lima, onctueuses et augurales,
et princesses du Mexique, qui sont comme l’armoire familiale qui garde les plus doux gâteaux;
et garçonnets de Cuba, alanguis, sensuels, fougueux, vains, tels des fantasmes qui errent dans quelques rêves miens;
Garçonnets de la plaisante Cuscatlan -oh ambroisie!- et garçonnets de Honduras, où il y a des alouettes aveugles dans les forets obscures;
entrez dans la danse, en joyeux tourbillon: riez, jouez au son de ma chanson:
l’ananas et le corossol arôment le chemin et un vin de palmier endort la poitrine.

La Meurtre vient, tout sera poussière: poussière de Hidalgue, poussière de Bolívar, poussière dans l’urne, et brisée l’urne, poussière dans la cécité de l’Aquilon!

Mon verre plein – le vin de l’Anahuac-
mon effort vain – stérile ma passion-
je suis un perdu – je suis un marihuano-
à boire à danser au son de ma chanson…

La nuit est belle dans son ivresse de miels, la terre est agréable dans son voile de brumes; vivre est doux, douceur des chants; chante l’amour, grandissent les puceaux, se peuple le monde, ourdissent les destins…
que le jus de la vigne me soulage la poitrine! À boire, à danser en rapides tourbillons, vain l’effort, futile l’illusion…

Envoi (à Leopoldo de la Rosa) 
A toi qui me reproche mon sibyllin sens de l’amour qui est dans mon vers, ombre et profonde, lugubre et hermétique, je te parle dans la triste vanité du vers; toi dans la Mort accablé, moi dans la Mort, même à peine un cri de l’agitation du monde ne pourra avoir écho dans la cavité vide…
La poussière règne –La poussière, l’irascible! 
Allégresse! Allégresse! Allégresse!